Emballement climatique en cours à échelle de la planète ?

21/07/2022

Depuis quelques années, on semble observer une modification des zones géographiques traditionnelles des centres d'action, favorisant les périodes anticycloniques à répétition sur l'Europe occidentale et plus particulièrement sur la France et le Bénélux.

Comment fonctionne la circulation atmosphérique ?

Avant toute chose, il est important de comprendre les mécanismes de la circulation atmosphérique sur Terre. 

Elle se divise en trois cellules dans chacun des deux hémisphère : la cellule polaire au niveau des pôles, la cellule de Ferrel aux latitudes moyennes (entre 30 et 60°) et la cellule de Hadley aux latitudes plus basses (entre 30° et l'équateur). 

Le courant jet (puissant couloir de vent à haute latitude) circule de part et d'autre de la cellule de Ferrel et apporte une circulation atmosphérique d'ouest en est à nos latitudes moyennes, d'où une influence océanique notable sur nos régions.

Schéma de la circulation atmosphérique globale sur Terre - image Kaidor via Libération
Schéma de la circulation atmosphérique globale sur Terre - image Kaidor via Libération

Le fonctionnement de la cellule de Hadley, située entre l'équateur et le 30ème parallèle, est assez simple : l'air chaud et humide se décharge aux latitudes équatoriales puis s'assèche en remontant vers le nord de la cellule, c'est à dire aux latitudes sahariennes. Ces régions récupèrent un air stable et sec : d'où un climat désertique.

L'archipel des Açores se situe au nord de la cellule de Hadley, dans une zone où l'air est peu instable. 

Les conditions sont alors réunies pour qu'une cellule anticyclonique y soit présente durant une bonne partie de l'année. 

C'est ce qu'on appelle le fameux anticyclone des Açores, dont l'influence est bien connue sur le climat de l'Europe de l'Ouest, France incluse. 

Cependant, le positionnement atypique de cet anticyclone questionne depuis plusieurs années...


Schéma de la position classique de l'anticyclone des Açores - via NOAA
Schéma de la position classique de l'anticyclone des Açores - via NOAA

Un déplacement des ceintures anticycloniques ?

Depuis l'automne 2021, la récurrence des blocages anticycloniques sur l'ouest de l'Europe atteint des niveaux remarquables ! 

La carte ci-dessous montre l'anomalie de géopotentiels à 500hPa (+/- 5500m) sur l'Europe sur les 10 derniers mois, soit d'octobre à juin 2022. Elle met en évidence une remarquable anomalie de hautes pressions sur tout l'ouest de l'Europe, particulièrement sur Îles Britanniques, nord de la France et la Mer du Nord. 

De telles anomalies lissées sur une période de 10 mois sont majeures et témoignent d'une position anormale de l'anticyclone, au détriment du flux océanique.

Anomalie de géopotentiels en Europe de septembre à juin 2022 - via climatereanalyzer.org
Anomalie de géopotentiels en Europe de septembre à juin 2022 - via climatereanalyzer.org

L'anticyclone des Açores semble remonter bien trop au nord sur l'ouest de l'Europe. L'observation devient d'autant plus surprenante avec une vue mondiale. 

En effet, on constate de vastes anomalies anticycloniques aux latitudes 40 à 50°N dans l'hémisphère nord (comme sur le nord du Pacifique), alors que la ceinture anticyclonique est présente habituellement aux environs des latitudes 30 à 35°N. 

Anomalie de géopotentiels dans le monde de septembre à juin 2022 - via climatereanalyzer.org
Anomalie de géopotentiels dans le monde de septembre à juin 2022 - via climatereanalyzer.org

Ce constat ne s'arrête pas là car la même observation, encore plus linéaire, s'observe dans l'hémisphère sud ! En général, la ceinture anticyclonique est habituellement située vers la latitude 30°S. 

Ces 10 derniers mois, elle s'est majoritairement située entre les latitudes 40 et 50°S, si bien que les dépressions sont rejetées vers l'Antarctique où des anomalies de basses pressions sont constatées ! 

Un changement depuis plusieurs années ?

Cela fait plusieurs années que l'on observe cette progression en latitude des ceintures anticycloniques, que ce soit dans l'hémisphère nord ou dans l'hémisphère sud. 

Outre en 2021 et 2022, l'année 2020 peut également servir d'exemple. 

Comme l'illustre la carte ci-dessous, on retrouve une anomalie de hautes pressions du nord du Pacifique à la Sibérie en passant par l'Europe, au nord de la ceinture habituelle de hautes pressions. 

Le constat s'observe aussi dans l'hémisphère sud. 

Dans les deux cas, l'activité dépressionnaire la plus dynamique circule plus près des pôles qu'en temps normal.

Anomalie de géopotentiels dans le monde au cours de l'année 2020 - via climatereanalyzer.org
Anomalie de géopotentiels dans le monde au cours de l'année 2020 - via climatereanalyzer.org

En réalité, ce déplacement des ceintures anticycloniques vers le nord dans l'hémisphère nord et vers le sud dans l'hémisphère sud est observable de manière nette depuis l'année 2015, comme l'illustrent les cartes ci-dessous. 

Les masses d'air chaud de plus en plus imposantes aux latitudes tropicales tendraient à étendre les cellules anticycloniques vers des latitudes plus élevées, favorisant les blocages à nos latitudes. 

Le cas de l'année 2016 est particulier car on avait noté des blocages anticycloniques remarquables au niveau du pôle nord. 

Anomalie de géopotentiels dans le monde entre 2015 et 2018 - via climatereanalyzer.org
Anomalie de géopotentiels dans le monde entre 2015 et 2018 - via climatereanalyzer.org

Si l'on remonte avant 2015, cette évolution dans la latitude des ceintures anticycloniques est nettement moins visible. 

Il y avait bien des situations de blocage anticyclonique aux hautes latitudes mais les anomalies de pression aux latitudes subtropicales des anticyclones traditionnels n'avaient rien de vraiment anormal.

Anomalie de géopotentiels dans le monde entre 2011 et 2014 - via climatereanalyzer.org
Anomalie de géopotentiels dans le monde entre 2011 et 2014 - via climatereanalyzer.org

Cela pourrait-il dire que nous assistons à une modification de la position moyenne des centres d'action depuis 2015 ? 

Nul ne pourra faire d'affirmation pour l'avenir, mais le constat des dernières années est là et le climat sur nos régions semble subir des évolutions remarquées.

Quelles conséquences pour le climat belge ?

Avec un anticyclone recouvrant de plus en plus souvent l'ouest de l'Europe, le traditionnel flux océanique qui caractérise notre climat  se montre de moins en moins présent et il n'est plus rare de rencontrer des mois entiers dominés par les vents continentaux. 

Ce fut par exemple le cas des mois de mars et d'avril 2022 . 

À Uccle les vents venant des secteurs compris entre le Nord et et l'Est ont outrageusement dominé pendant deux mois, ne laissant passer que très  peu de  perturbations venues de l'Atlantique !

La diminution de la fréquence des vents océaniques et l'augmentation des pressions moyennes tend irrémédiablement vers des précipitations de plus en plus discrètes. 

La sécheresse s'est étendue de plus en plus et en ce mois de mai 2022, de nombreuses régions subissaient le manque de pluie qui durait depuis l'automne dernier. 

Le flux océanique moins présent pourrait laisser penser à des hivers plus froids et plus neigeux. Ce n'est toutefois pas du tout ce qui a été observé ces derniers hivers. 

S'il est vrai que les perturbations océaniques sont moins fréquentes, les racines subtropicales de l'anticyclone des Açores amènent de nombreuses journées sèches caractérisées par des gelées matinales suivies par des après-midi plus doux.

 Les mois de janvier et février 2022 furent d'ailleurs de très bons exemples.


Pressions moyennes sur le continent européen en janvier 2022 - via Météo France / Gaëtan Heymes
Pressions moyennes sur le continent européen en janvier 2022 - via Météo France / Gaëtan Heymes

Il est bien évidemment trop tôt pour tirer des conclusions précises sur l'évolution du climat français et européen pour les prochaines années et décennies. 

Cependant, les dernières années nous montrent des évolutions à prendre en considération et face auxquelles nous pourrions être amenés à nous adapter si la tendance venait à s'inscrire dans la durée... 

Article réalisé par Guillaume Séchet et Alexadre Slowik

Adaptation pour la Belgique